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Défendre les pères, sans attaquer les mères
Le Monde.fr | 22.02.2013 à 11h29 • Mis à jour le 22.02.2013 à 13h56 Par Sébastien Ledoux, enseignant-chercheur
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Le débat lancé par l'action de Serge Charnay à Nantes, (malgré le geste peut-être et malgré ses déclarations une fois redescendu) mérite pourtant l'attention de l'ensemble des citoyens car il concerne non seulement directement la vie de millions de personnes (parents et enfants) en France mais plus globalement la place des pères dans la société française. En aucun cas d'être évacué du débat public.

 

Il nous semble que les prises de position actuelles sur l'antiféminisme, le " masculinisme ", la violence des pères, ou sur le manque de moyens dont disposeraient la justice pour régler les conflits parentaux, ne sont pas de nature à élever le débat mais, au contraire, à faire taire des revendications légitimes face une jurisprudence aux conséquences problématiques pour des pères et leur enfant. Un vrai sujet social en vérité.

Nous constatons par ailleurs que cette catégorie n'est pas inscrite dans la grammaire culturelle des mouvements associatifs qui luttent pour les droits de catégories de population discriminées comme les femmes ou les homosexuels par exemple.

La domination masculine est finalement le premier adversaire de ce débat, car toute revendication pour la défense des pères est perçue comme l'instrument déguisé de cette domination. Et ceux qui seraient sensibles au débat que ce geste soulève, pourrait être perçus immédiatement comme des agents de la domination masculine, ce qui est insupportable.

Aussi, et pour éviter des procédés d'intention préjudiciable au débat actuel, il est important d'y apporter des considérations préalables : La loi de 1970 qui a mis fin au patriarcat a représenté une avancée fondamentale pour la famille et la société.

Le combat contre la violence d'hommes faite aux femmes et aux enfants, notamment dans le cadre familial, est un combat indispensable auquel nous sommes extrêmement sensibles.

DÉFENSE DES DROITS DES PÈRES

Les discriminations dont sont l'objet les femmes encore aujourd'hui dans différents secteurs de la société sont des luttes légitimes que nous partageons totalement.

Nous considérons donc que la défense des droits des pères n'est pas à situer dans une revendication catégorielle contre les femmes ou contre les mères. Les associations de défense des pères qui vitupèrent contre les mères en général, ou contre le mariage homosexuel, se trompent de combats et nous sommes les premiers à le dénoncer.

Pour autant, notre position est tout aussi claire pour exiger la reconnaissance de discrimination faite aux pères dans le cadre de séparation par l'institution judiciaire.

Cette discrimination résulte d'une culture juridique qui s'appuie sur des conceptions, selon nous, dépassées du cadre familial. La garde principale des enfants confiée au père reste exceptionnel et se justifie à chaque fois par des situations où les mères rencontrent de graves problèmes, ou sont elles-mêmes désireuses de ne pas avoir la garde de leur enfant, ce qui est rare.

En revanche, la garde principale confiée aux mères se justifie par le fait qu'elles sont des mères, alors même que le père ne rencontre pas de difficultés particulières. La garde alternée, qui fait l'objet de nombreux débats, reste marginal, et toujours au détriment du père.

Cette asymétrie qui entraîne une discrimination envers les pères, se fonde sur un présupposé culturel : les mères s'occupent mieux que les pères de leur enfant, ou – et cela va dans le même sens– l'enfant a besoin davantage de sa mère pour se construire.

 

 LE QUOTIDIEN POUR LA MÈRE, LES LOISIRS POUR LE PÈRE

Ce postulat qui fait l'objet de nombreux débats chez les psychologues constitue pourtant un fait juridique qui est tranché de façon univoque presque systématiquement : l'intérêt de l'enfant est de rester chez sa mère, ce qui compte pour un juge est de ne pas le couper définitivement du père. Le quotidien pour la mère, les loisirs pour le père...

Cette jurisprudence ne fait qu'entériner finalement ce que beaucoup dénoncent par ailleurs : l'inégalité entre les hommes et les femmes dans les tâches domestiques et l'éducation des enfants, à l'heure où les discours sur l'absence des pères, l'absence de référence fiable abondent.

Elle nous semble présupposer un ordre naturel d'une réalité qui est un fait culturel. A ce sujet, les nouveaux pères qui s'occupent de leur enfant, selon de nouvelles modalités, traduisent une évolution culturelle jamais pris en compte par les juges dans leur décision.

Cette jurisprudence, et ce en contradiction avec la loi de mars 2002 qui établissait une égalité entre les droits du père et de la mère, entraîne, dans la vie de millions d'enfants, un déséquilibre que les professionnels de l'éducation connaissent bien : le manque, voire l'absence du père dans la construction de l'enfant.

Cette considération n'est pas une charge contre l'homoparentalité. Simplement, lorsqu'il existe bien un père pour un enfant, il nous semble que celui-ci doit être amené à jouer un rôle plus important que celui qu'il est à réduit à jouer actuellement : le " papa d'un week-end et de la moitié des vacances ".

Le fait que 25% seulement des pères demandent à avoir la garde de leur enfant ne peut être considéré seulement comme un manque d'investissement de leur part.

 

LA DIMENSION SOCIO-ÉCONOMIQUE DU PROBLÈME

Cette proportion a différentes explications. A partir du moment où la règle générale appliquée de fait depuis quarante ans est que dans 75 % des cas, la garde est confiée à la mère, elle en devient forcément dissuasive.

Les premiers à dissuader les pères à demander davantage de temps avec leur enfant sont leur propre avocat... De plus, ce qui n'apparait jamais dans le débat est la dimension socio-économique du problème.

Une procédure coûte très chère à celui qui l'engage, qui peut se retrouver condamner à devoir payer, en plus des frais de son avocat, les frais de la procédure engagée. Le prix des pensions est souvent insupportable au regard des efforts des pères à maintenir parallèlement une résidence alternée, car il n'est pas vrai que la résidence alternée suppose ipso facto la fin des versements mensuels.

C'est un élément qui dissuade la plupart des pères à se lancer dans un combat qu'il pense, à juste titre, perdu d'avance. Cette jurisprudence qui donne la prime aux mères à des effets pervers qu'il est important de signaler.

D'abord, elle donne toute latitude à des mères qui ont la garde principale de l'enfant, et qui savent que le père ne prendra pas le risque de saisir la justice pour les raisons que nous avons énoncé précédemment.

Le respect de l'exercice en commun de l'autorité parentale est donc fondée sur un déséquilibre puisque le fait qu'une mère puisse élever seule son enfant sans vraiment faire participer le père ou le faire occasionnellement n'entrainera aucune conséquence pour elle.

 

 L'AUTORITÉ PARENTALE COMMUNE

De fait, l'exercice en commun de l'autorité parentale reconnue par la loi de 2002 n'a que peu de poids dans les situations quotidiennes des enfants de parents séparés.

On peut énoncer un principe comme le fait la loi, l'autorité parentale commune, mais si ce principe n'a que peu d'effet en pratique, dans l'usage et l'économie de la relation dysimétrique, ce principe est vide de sens.

De nombreux pères le vérifient chaque jour pour les décisions à l'égard du médecin, de l'école, des activités extra sportives. Par ailleurs, les accusations de violence sur la mère et/ou son enfant portées à l'encontre du père ne sont jamais suivies de condamnation lorsque les faits dénoncés se révèlent infondés par un juge.

En revanche, ces accusations ont régulièrement un impact réel sur la vie de l'enfant dans la mesure où celui-ci peut se retrouver privé de son père pour une durée importante, le temps qu'une décision intervienne pour statuer sur les faits.

Sans tomber dans un antiféminisme qui n'est pas notre position, il est nécessaire de faire observer que les catégories sociales de " mère victimes " ou d'" enfants victimes " de violences du conjoint/père sont prééminentes dans notre société quand celle du " père-victime " de discriminations demeure invisible et inaudible.

Ce débat soulevé mérite donc une réflexion que le politique doit porter sereinement, afin d'éviter des amalgames, des abus, des souffrances qui touchent en premier lieu des enfants, c'est-à-dire le devenir de notre société.

 

Sébastien Ledoux, enseignant-chercheur

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/02/22/defendre-les-peres-sans-attaquer-les-meres_1836980_3232.html#xtor=AL-32280270

 

Tag(s) : #Divers
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